Interviews des agents pénitentiaires
- privationlibertese
- 17 mars 2021
- 11 min de lecture
Par Fiona Borgalli, Nadia Bchir, Tiphaine Le Guyader, Fiona Zanardo et Margot Laghi
- Mars 2021

Afin de mieux comprendre comment se déroule la vie au sein des maisons d'arrêt, nous nous sommes entretenus avec 2 agents pénitentiaires qui ont accepté de répondre à toutes nos questions tout en restant dans l'anonymat.
Bonjour Messieurs,
1.En quelques mots, quelle est la formation à poursuivre pour devenir surveillant pénitentiaire ?
Surveillant 1 : Pour devenir surveillant pénitentiaire, il faut passer un concours qui se déroule en 2 parties :
Une partie théorique
Une partie pratique avec des test psychotechniques et une enquête administrative où on vérifie notre casier judiciaire.
Ensuite, on intègre l'Ecole Nationale d'Administration Pénitentiaire (ENAP). La formation dure 8 mois avec une des formations dans différents établissements pénitentiaires. Nous sommes évalués de manière permanent tout le long de la formation.
A la fin des 8 mois, on obtient le titre de surveillant et une première affectation dans un poste de titulaire, on a normalement la possibilité de choisir
En sortant de l'ENAP, l'administration nous offre plusieurs possibilités : la détention, les personnels d'escorte et de transfèrement (PREJ) ou les services hospitaliers dans les Unités Hospitalières Spécialement Aménagées (UHSA) et Unités Hospitlières Sécurisées Interrégionales (UHSI).
Surveillant 2 : Il faut intégrer l’École nationale de l’administration pénitentiaire (ENAP) située à Agen pendant 8 mois.
2. Depuis combien de temps exercez-vous ce métier ?
Surveillant 1 : J'exerce depuis 2008, donc depuis 13 ans.
Surveillant 2 : Depuis plus de 4 ans, bientôt 5 ans.
3. Pourquoi avez-vous décidé d’exercer ce métier?
Surveillant 1 : Je suis un ancien militaire. J'ai des qualités humaines que j'ai pu acquérir grâce à mes 22 ans d'expérience au sein de l'armée. J'ai une compétence et une connaissance pluriculturelle grâce à mes nombreux voyages avec l'armée. Le métier qui se rapprochait le plus de l'armée pour moi était le métier d'agent pénitentiaire, c'est un métier structuré, carré avec une hiérarchie, des grades, etc.. Et avec mon âge, je ne pouvais plus rentrer dans la gendarmerie et la police.
Surveillant 2 : Pour être fonctionnaire (la stabilité du métier), pour le salaire et pour l’évolution de carrière.
4. Quelles sont les difficultés du métier ?
Surveillant 1 : Il y a des difficultés de plusieurs sortes. L'administration est en décalage avec la société, certains détenus doivent purger une certaine peine et à cause du peu d'effectif, on (les agents) ne peut pas accompagner correctement les détenus, on est obligé de passer que très peu de temps avec eux.
Pour faire une demande d'aménagement de peine, c'est le parcours du combattant pour le détenu, le problème est que certains détenus sont capables d'être réinsérés mais ils ne peuvent pas le faire à cause de la lenteur de la justice.
L'administration ne prend pas en compte tous les profils existants des détenus, il y a plein de paramètres extérieurs que l'administration ne prend pas en compte. Par exemple, les différentes origines, les différents parcours des détenus, etc..
Il y a aussi la barrière de la langue, dans les prisons française la culture est diverse et variée et c'est souvent difficile car on (les surveillants) n'a que quelques secondes pour se faire comprendre et comprendre le détenu, c'est une difficulté d'ordre culturel.
Il y a aussi une surpopulation carcérale.
C'est un travail très fatigant, on est soumis à beaucoup de pression, beaucoup de violences subies au quotidien, elles peuvent être verbales et physiques. Il y a encore plus de pression sur les femmes, elles peuvent venir travailler dans les prisons pour hommes mais les hommes ne peuvent pas travailler dans les prisons pour femmes.
Malheureusement, le métier d'agent pénitentiaire n'est pas très connu donc on ne prend pas assez en compte nos avis pour améliorer la situation pénitentiaire alors qu'on est sur le terrain.
Surveillant 2 : La population carcérale, les détenus sont imprévisibles. Ils n’ont pas respecté les règles dans la société alors ils refusent souvent de les appliquer en détention. Une autre difficulté est la violence qui s’y trouve (agression, pression).
5. Qu'aimez-vous dans le métier de surveillant pénitentiaire ?
Surveillant 1 :Être agent c’est travailler dans une culture pluriethnique, 80% détenus sont de bonnes personnes et tout se passe bien avec eux. On peut tenir une conversation avec eux, parler des enfants par exemple.
J'ai déjà retrouvé des anciens détenus dans la rue qui étaient sortis de prison, j'ai pu discuter avec eux sans souci.
Les détenus ont une certaine manière de parler, mais à force de rester avec eux, on va pouvoir parler avec eux parce qu'on a leur manière de parler (tutoiement, baveux= avocat, etc..)
Pour le reste des détenus c'est plus compliqué.
L'administration nous permet de changer de métier à l'intérieur de centre de détention, par exemple devenir greffier, responsable courriers, responsable des cuisines, responsable des cantines, PREJ, dans l'équipe locale de sécurité, dans l'unité de soin, dans les équipes régionales de sécurité, etc.. On a vraiment la possibilité d'évoluer dans l'administration pénitentiaire.
Surveillant 2 : Les jours ne se ressemblent jamais, il n’y a pas de routine.
6. Pouvez-vous nous décrire la journée-type d’un surveillant pénitentiaire ?
Surveillant 1 : Pour le poste d'agent pénitentiaire, pour le poste de jour, on commence à 6h ou à 12h. Pour les horaires, ça peut être de 6h40 à 13h, ou de 12h45 à 19h ou de 6h45 à 18h45.
Quand on commence, il faut aller prendre tous les renseignements concernant les détenus, c'est une feuille de mouvement.
Pour le poste de nuit, je travaille de 19h à 6h45, je fais des rondes sécuritaires. On fait beaucoup de rondes par nuit à tour de rôle pour voir qu'il n'y a pas de problèmes. Le but est la sécurité de la détention.
Quand je suis au greffe, j'ai un autre type de journée. Je travaille qu'au greffe avec astreinte. Quand le détenu vient de passer devant le juge, il faut un greffe pour faire rentrer le détenu en détention car il faut un billet d'écrou.
Pour l'agent de cuisine aussi il y a un autre type de journée.
Pour l'équipe régionale d'intervention, il y a 9 unités réparties dans toute la France ( Direction interrégionale des services pénitentiaires de Marseille, Grand-est, Rennes, Lille, Dijon, Toulouse). C'est pas des agents en détention, c'est pas de la détention classique mais c'est des agents appelés en cas de violence dans la prison.
L'administration propose une trentaine de métiers différents donc il y a 30 journées-type différentes.
Surveillant 2 : Arrivée à 6h40. Le premier surveillant fait un appel de tous les surveillants présents. Le surveillant récupère les clefs et le moyen de communication. Il va ensuite à l’étage faire un appel nominatif de chaque détenu dans la prison (il y a entre 1 et 2 agents pénitentiaire par étage). Ensuite il regarde les douches, les parloirs. Il y a la promenade vers 9h et la fin de la promenade vers 11h30. A 12h00, c’est l’heure du repas. A 13h20, Un appel nominatif est à nouveau réalisé, puis c’est le moment des parloirs, du sport (même les moniteurs de sport sont surveillant pénitentiaire à la base) et la promenade l’après midi. A 18h00, c’est à nouveau l’heure du repas. Un appel nominatif est réalisé à 19h20.
Lorsque l’agent pénitentiaire ouvre une cellule, il regarde si le détenu est dedans, vivant. L’appel permet de se renseigner sur le nombre de détenus, il faut que ce nombre corresponde avec le nombre de détenus qu’a le chef car s’il ne correspond pas, l’agent pénitentiaire ne peut pas partir.
7. Quelle est votre relation avec les détenus ? Comment la décririez-vous ?
Surveillant 1 : Il y a du respect et du vouvoiement. Le détenu en face de moi, je ne l’ai pas forcé à faire ces conneries, je ne l’ai pas arrêté, je ne l’ai pas jugé, je l’ai pas auditionné, je l’ai pas condamné, je ne le connais pas sauf les infos que j’ai de son dossier
Le vouvoiement permet de lui montrer que je le respecte mais qu’il y a une barrière naturelle qui doit être faite par le respect et ils le comprennent bien.
Surveillant 2 : Une relation tendue, la plupart du temps la relation est correcte mais le conflit est souvent avec les mêmes.
8. Avez-vous déjà eu des différends avec des détenus ? Si oui, pouvez-vous nous citer un exemple?
Surveillant 1 :Oui forcément il y en a, il y a des agressions verbales quotidiennes.
Surveillant 2 : Tous les jours je me fait agresser verbalement. Je me suis déjà fait agresser physiquement par un détenu dans un étage. Afin de me défendre, j’ai utilisé la force strictement nécessaire pour maîtriser le détenu.
9. Avez- vous déjà eu connaissance ou été témoin d’une altercation entre codétenus ? Comment réagissez-vous dans ce contexte ? Surveillant 1 :Bien sûr qu'il y a des altercations entre codétenus, souvent cela se passe en dehors de notre champ de vision et si ça passe, on n'en saura rien.
Ça se passe dans la cour en promenade. Quand il y a une altercation entre 2 détenus, on les met en salle d'attente, ils sont vus par les gradés et ensuite les gradés prennent les décisions (quartiers disciplinaire, cellule isolement).
Surveillant 2 : Il y a souvent des agressions physiques pour des cigarettes, des substances illicites..., mais également parce que les détenus ne veulent pas être deux dans une cellule donc ils se battent. La mésentente entre les deux peut aussi être une cause d’altercation.
Lorsqu’ils se battent, ils sont séparés physiquement, ensuite ils sont mis dans des endroits différents. Le plus souvent, ils sont séparés et sont mis dans une cellule différente pour la suite de leur détention.
10. Avez-vous déjà eu connaissance ou été témoin d’une altercation entre un gardien de prison et un détenu ? La responsabilité d’un gardien a-t-elle déjà été invoquée ?
Surveillant 1 : Oui altercation entre agent et détenu, c'est difficile d’en parler car la vision des choses de l’agent n’est pas la même vision des choses d’un collègue. Dans ce cas, on sépare les deux personnes, on va les voir pour établir leur état de santé et le détenu va voir les gradés qui vont prendre la décision de savoir s’ils sont punis ou pas. Ensuite c’est la chaîne administrative qui se met en place, tous les témoins font des comptes rendus, l’agent est auditionné par les gradés et il peut déposer plainte. Le but est d'intervenir pour stopper l'incident.
Surveillant 2 : Oui, j’ai déjà été témoin d’une altercation mais la responsabilité de l’agent n’est jamais invoquée car il agit dans le cadre de la légitime défense.
11. Comment sont réparties les missions entre surveillants pénitentiaire ? Surveillant 1 : Tout dépend du poste, on a des tâches différentes en fonction du poste : surveillance, courrier, cuisine, etc... Surveillant 2 : Les missions dépendent du service dans lequel l’agent travaille : Le service du parloir, le service du greffe, le service de surveillant, le service des miradors, le service de sécurité, le service du courrier, le service de cuisine,...
12. Selon vous, quelle est la principale qualité à avoir pour exercer ce métier ?
Surveillant 1 : C'est la savoir être, il faut avoir du recul, quand on est agent pénitentiaire, on est capable de comprendre un détenu qui dit qu’il ne voit pas ses enfants grandir quand on est père de famille aussi.
Surveillant 2 : La patience et du sang-froid. Il faut savoir montrer son autorité et se faire respecter sans avoir à utiliser la violence ou le chantage.
13. Que pensez-vous des conditions de détention et de vie des détenus ? (le respect de leurs droits, l’hygiène des prisons,....)
Surveillant 1 : Ceux qui font la détention c’est les détenus, si tout est cassé c’est à cause des détenus, donc la détention sera pourrie à cause d’eux mais si les détenus ne cassent pas la détention sera correcte. Ce n’est pas l’agent qui rentre dans la cellule pour tout casser, c'est le détenu qui fait sa détention.
Surveillant 2 : Concernant les nouvelles prisons , les conditions de détention sont bonnes. Concernant les anciennes prisons, les conditions posent de nombreux problèmes car elles ne sont pas entretenues pour les détenus (insalubrité, saleté, ..) mais également pour les agents pénitentiaires (porte et serrures marchent pas bien, ..).
14. En tant que gardien de prison, que pensez-vous du système pénitentiaire français ?
Surveillant 1 : Dans l’administration pénitentiaire, il y a plusieurs corps de métiers (agents bleus, SIP, PIP, associations extérieures, éducation nationale, santé, culte), le plus dur est la coordination car c’est impossible que tout le monde rentre dans le même état d’esprit .
Le détenu est juste privé de ses droits de liberté, pour le reste des droits, le détenu les garde (droit de visite, droit à la santé,etc..)
Surveillant 2 : Le système pénitentiaire semble inadéquat avec la réalité carcérale et c’est beaucoup trop long . En effet, certains détenus attendent dix ans en maison d’arrêt avant d’avoir une place en maison centrale par exemple. Il faudrait peut-être faire un tri plus poussé en amont.
15. Vous sentez-vous suffisamment en sécurité dans l’exercice de votre métier ?
Surveillant 1 : La sécurité c’est l’agent qui la fait. Quand on se lève le matin, il faut qu’on rentre entier chez nous donc il faut toujours avoir son œil et ses écoutes pour être toujours sur ses gardes sans être paranoïaque. On a toujours le 6ème sens en éveil car des fois ça peut aller très vite.
Surveillant 2 : Je me sens en sécurité mais selon moi, je n’ai pas assez de moyens de défense en cas de problème, et selon mon chef, je vais me sentir plus ou moins soutenu.
16. Que conseillerez-vous à une personne qui souhaiterait exercer ce métier ? Surveillant 1 : Il faut faire un stage de découverte, il faudrait présenter et expliquer aux jeunes le métier car c'est le 1er maillon de la réinsertion d’un détenu donc ce métier est très important.
C'est un métier riche d’enseignement, riche de culture, riche de beaucoup de choses et on ne le met pas assez en valeur car trop souvent, on nous met le titre de gardien de prison pourtant ce terme n’existe plus on parle de surveillant de l’administration pénitentiaire.
Surveillant 2 : Je lui conseillerais d’avoir les nerfs solides.
17. Selon vous, la formation des surveillants pénitentiaire est-elle en adéquation avec la réalité?
Surveillant 1 : La formation se passe en 2 phases, phase théorique et phase pratique qui permet de combler les lacunes.
L'ENAP nous offre aussi une formation pratique, cette pratique dans les établissements pénitentiaires permet d’apprendre les ficelles du métier. La théorie et la pratique font qu’on arrive en détention avec la « 1ère couche de peinture » et l’expérience permet d’avoir les autres « couches de peinture ». La formation tient la route.
Surveillant 2 : La formation est bien mais durant la formation, on me présente un profil type de détenu alors qu’il existe beaucoup de profils totalement différents. Je ne suis pas assez confronté à la dure réalité.
18. Durant votre carrière, qu’est-ce qui vous a le plus marqué ? Surveillant 1 : Une réflexion d'un détenu : « vous savez moi j’en ai pris pour 1 an mais vous vous avez pris pour perpète ». Le détenu sort de prison au bout d’un certain temps mais en tant qu'agent pénitentiaire, on n'en sort qu'à la retraite.
Surveillant 2 : Les mouvements de grève en 2018, où toutes les prisons avaient été bloquées pour revendiquer les agressions subies pendant un mois et demi/ deux mois. Plus aucune prison ne tournait. Les CRS s’occupaient des prisons à la place des agents.
19. En temps de crise sanitaire, comment se déroule le travail d’un surveillant pénitentiaire ?
Surveillant 1 : Il y a un protocole mis en place et respecté par les détenus. Le port du masque, tout le monde y gagne donc tout le monde joue le jeu, il n'y a pas de problèmes majeurs relatifs au protocole de santé. Le protocole est relativement bien respecté (gel à disposition, masques à disposition, moyens de désinfection mis à disposition). L'hygiène est bien suivie car tout le monde ne veut pas être contaminé.
Surveillant 2 : Il y a le port du masque toute la journée, aux parloirs il y a du nettoyage à chaque passage du détenu, les agents ont bien plus de travail (concernant les vêtements, le sac de linge est stocké pendant 48 h avant de le rendre aux détenus).
20. Quelle vision avez-vous de votre métier? Surveillant 1 : C'est un très beau métier qui pourrait être encore mieux si on se donnait les moyens. En tant que surveillant, le métier est intéressant et on peut s’investir à 100% mais il faut être conscient des risques potentiels. Pour réussir ce métier, il faut le comprendre mais le problème c’est le décalage existant avec la réalité. Le problème c’est qu'on ne prend pas en compte l’avis des agents pénitentiaires car c’est les politiques qui conditionnent les choses et pas les surveillants. C’est le Covid-19 qui a fait qu’on a libéré X détenus c’est pas les surveillants.
Surveillant 2 : C’est un métier passionnant mais contraignant niveau horaire et également physiquement et mentalement.



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